Belinda Campbell, Bonnes boucles

C’est un magnifique clown, avec un costume multicolore, avec de grands
souliers, avec de très grands noeuds papillon. C’est un clown femelle. Les
personnages de Campbell se développent pour ainsi dire devant public. Celui-ci
est un clown qui se découvre, ou plutôt s’explore en ses couches multiples.
Personnage presque statique, il est contraint dans ses déplacements, il reste
pour ainsi dire sur place, invité malgré un interdit de déambulation de
découvrir par auto manipulation de quel bois il est fait. D’abord le costume,
cette couche de surface, construit comme une architecture malléable. Ce
costume est en soi une performance. Il est totalement impondérable, les
noeuds papillon pivotent, se rétractent, s’évadent et reviennent; les pantalons
en forme d’étalement évasé s’inversent, grimpent, enveloppent le tronc et la
tête; les souliers s’éloignent l’un de l’autre, fuient vers des horizons opposés.
Comme si l’habit, qui fait le moine, était le maître d’oeuvre, c’est lui qui
manipule l’artiste et non l’inverse.

Dans ce jeu d’inversion de rôles, la jeune fille s’engouffre et disparaît,
happée par le costume, par le personnage qu’elle a créé et qui pourtant
lui échappe. La chose usurpe son pouvoir à elle, l’emportant comme à son
corps défendant dans des excursions sur son propre corps. Il y a comme
un combat absurde entre le costume et la… marionnette qui s’en couvre.
Ainsi, de découvertes en explorations, la fille-clown manipulée dérive vers
le centre de son corps, maintenant voilé, et ses gestes deviennent de plus en
plus saccadés, de plus en plus frénétiques, s’accélérant au rythme soutenu
du Boléro de Ravel. Elle atteindra l’orgasme dans l’apothéose des cuivres
sur fond de caisses claires. Comme le disait Ravel : < Enfoncez-vous bien
cela dans la tête ! )
Moment d’extase alors que Campbell se laisse emporter par une frénésie
qui ne vient pas de sa volonté, mais de la dépossession même, à travers ce
personnage déguisé en clown qui lui permet de s’abolir dans l’épuisement
de la chair triturée et excitée jusqu’à plus soif.

Extase, la vie et autres pratiques extatiques
Folie Culture