Le cinéma de Belinda Campbell
Dépliant (2004) sera le point de départ d’une discussion avec Belinda Campbell. Réalisée alors qu’elle était étudiante à la maîtrise, cette oeuvre fantaisiste et désarmante tournée en super-huit lui permet d’échafauder un récit onirique et imprévisible. Déjà, avec Dépliant, Belinda affirme son intérêt pour le cinéma : ses codes (gros plan, plan d’ensemble, hors champ), ses genres (cinéma muet, épique, de Nouvelle Vague, expérimental) et son langage. Il faut dire que depuis trois ans l’artiste a amorcé un cycle de travail en super-huit à la recherche d’accidents, ces événements fortuits surgissant au tournage ou lors du développement de la pellicule. C’est dans cette optique qu’elle réalise Cet incendie dans ma propre maison (2009) où l’image parfois presque imperceptible révèle une expérience fragile de la lumière et sa relation avec la pellicule du film. Dépliant préfigure également l’effacement progressif de sa personne dans les oeuvres qui suivront, l’artiste travaillant avec des figurants collaborateurs dans L’animal (2005), Dis-moi donc ce qui regarde (2007), ou la présence fortuite de passants dans Il s’en passe (2008) et dit à quel point la notion de performance compte pour elle.
Dépliant est donc une oeuvre hybride entre l’essai, le conte de fées, la fiction scientifique ou le travelogue, et que vous découvrirez durant cette soirée organisée par le GIV. Elle nous permettra de réfléchir à la relation que la vidéo a toujours entretenue avec le corps (corps mobile, corps découpé, corps parlant, corps muet, corps animal), le temps (instant, durée, temporalité, flux) et l’autre (jeu, étonnement, épuisement, fascination).
C’est sur les notions de fracture, de jeu et de dérision que se construit l’univers de cette jeune artiste. La fracture se joue sur un plan physique (incrustation d’une image dans l’image, effet de montage), narratif (brouillage des niveaux de langage, passage du rêve à la réalité), abstrait (cette manière qu’a l’artiste de résister à tout dire, à tout raconter ou même à tout montrer). La fracture traduit aussi cet instant où, dans l’hésitation, un corps, un geste, une expression, une parole, un souvenir, un silence échappent à l’observateur. Ce refus d’expliquer semble tenir de l’instinct, tel un réflexe animal, et privilégie l’expérience. D’une certaine façon, en désamorçant toute allusion à une référence autobiographique ou anecdotique, Belinda Campbell nous garde à distance.
Se mettre en scène parfois jusqu’à la défiguration, demander à d’autres d’entrer dans le cadre, charger des objets ou des gestes en apparence banals d’une présence ou d’une portée signifiante, retenir le regard par la répétition d’une action ou d’une phrase, vouloir entrer littéralement dans la caméra ne sont que quelques éléments de l’univers d’une artiste qui veut déplier le monde autour d’elle.
Nicole Gingras
novembre 2009